Y… tenemos sabor : filmer la musique !

On continue le voyage dans les films de Sara Gomez¹ avec Y… tenemos sabor, (jeu de mots sur le double sens de « avoir du goût ») un documentaire de 1967 avec Alberto Zayas² et plusieurs groupes de musique populaire dont la Conga de Santiago de Cuba et Chucho Valdes y su combo. Miam.

Pour les non hispanophones quelques explications ci-dessous :

Le film fonctionne par accumulation, en commençant avec les instruments rudimentaires et néanmoins indispensables puisqu’ils confèrent leur « sabor » inimitable à la musique cubaine : les claves, premiers instruments des trovadores, transportés dans la poche, suffisants et indispensables pour démarrer une belle soirée. On y ajoutera vite les cuillères.

Alberto Zayas nous fait remarquer que tous les instruments originels de la musique populaire cubaine allaient par deux : claves, maracas, campanas… et étaient d’origine africaine. Il interprète même une comptine qui donne la recette de la fabrication des maracas !

La guitare est une importation  espagnole mais les bongos, eux, sont cubains et les meilleurs sont faits de bois de cèdre. Le güiro, 100% cubain, est de toute évidence issu du geste de râper le yuca et le maïs. Plus étrange et tombé en désuétude : la mâchoire de cheval, à la vibration caractéristique. Moins répandue :  la marimbula qui permet de jouer des mélodies succinctes. Cajon + sanza + migration subie = marimbula… et le voyage continue puisqu’on l’appelle rhumba box en Jamaïque !

Instruments incontournables : les tumbadoras (congas pour les intimes), à l’origine simples troncs creux avec une peau maintenue par des clous, de nos jours plus perfectionnés, allant par deux ou trois. Vous imaginez un cha cha cha sans ces fûts ?

Plus tardivement arrivent les timbales, la flûte traversière, la trompette et les instruments d’orchestre européens : piano, contrebasse, violon…

Mention spéciale de l’appropriation : la corneta china, qu’on n’entend plus guère dans le chinatown de la capitale mais qui est toujours très présente – puissante et suraigüe – dans les musiques populaires de Santiago de Cuba. À l’occasion Alberto nous apprend que les instruments se popularisaient sur l’Île d’est en ouest ou inversement, avec les mouvements de troupes (indépendance longuement négociée et combattue oblige).

Après quoi il nous rappelle avec malice que tout ça c’est très bien, mais qu’avec 4 bouts de bois – les claves du début – on peut faire une rumba « qui ne craint rien ni personne ». Démonstration à l’appui !

La réalisatrice reprend alors la parole pour annoncer : « Les plus jeunes travaillent à quelque chose de nouveau mais qui conserve notre sabor ». On a nommé sans le nommer le cuban jazz. Et je vous remercie d’apprécier l’audace de cette simple phrase qui contredit la thèse officielle de l’époque selon laquelle le jazz, cette musique de yankees, n’avait pas sa place sur l’Île.

Et en effet le film se clôt sur une magnifique séquence de jazz avec le jeune mais déjà géant Chucho Valdes (y su combo), et un chanteur-scatman non cité au générique mais dont j’aimerais bien connaître l’identité. Quelqu’un a une idée ?

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¹ C’est qui ? Voyez l’article Sara Gomez – J’irai à Santiago (1964)

² Alberto Zayas Govín (1908 – 1983), qui dans ce documentaire nous initie aux instruments de la musique populaire cubaine, savait de quoi il parlait : chanteur et musicien dès son adolescence, il a fondé un des premiers groupes de rumba qui ait enregistré à Cuba, le Grupo Afrocubano Lulú Yonkori. Il s’est illustré dans la guanguanco, la rumba… a collaboré avec l’ethnomusicologue Fernando Ortiz et l’anthropologue Harold Courlander qu’il introduit dans une cérémonie Abakua. Cette rencontre a donné lieu à des enregistrements audio conservés par les Archives of Traditional Music (Indiana University) et en partie édités par Folkways Records en 1951 sous le titre Cult Music of Cuba.

Son guaguanco El vive bien a été un immense succès de juke box et a lancé une carrière internationale avec tournées et enregistrement de plusieurs disques de musique populaire afro-cubaine. Puits de science musicale connaissant tous les détails de l’origine des instruments et de la distinction entre les différents genres musicaux, il partageait généreusement son amour et vers la fin de sa vie, tournait comme directeur du Grupo Folklórico Cubano.

Photo à la Une : Y… tenemos sabor, Sara Gomez 1967, capture d’écran. Chanteur (non cité au générique) du groupe Chucho Valdes y su Combo.

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